Publié le 11 mars 2024

En résumé :

  • Votre corps n’est pas un poids passif, mais l’outil de réglage de l’assiette le plus réactif et sensible à bord.
  • Maîtriser l’assiette longitudinale (avant-arrière) et la gîte (latérale) est plus crucial que de nombreux réglages de voiles.
  • Le rappel dynamique et la contre-gîte sont des techniques avancées qui transforment l’énergie potentielle en vitesse pure.
  • Adapter activement la position de l’équipage en fonction des vagues et du vent permet de maintenir une glisse constante et de débloquer le planning.

Vous sentez votre bateau lourd, comme freiné par une force invisible ? Vous passez des heures à peaufiner la tension de l’écoute de grand-voile ou le creux du génois, pensant y trouver le dixième de nœud qui vous manque. Ces réglages sont essentiels, mais ils occultent souvent le paramètre le plus influent et le plus instantané de tous : la répartition du poids de l’équipage. Pour beaucoup, les équipiers sont des poids morts que l’on place au rappel, une sorte de lest humain statique. On s’assoit et on attend que le vent fasse son travail.

Et si cette vision était fondamentalement erronée ? Si la clé de la performance ne résidait pas seulement dans la toile, mais dans la chair et les os ? La véritable révolution, c’est de comprendre que votre corps n’est pas un fardeau, mais un véritable joystick. Un instrument de réglage kinesthésique d’une précision redoutable, capable de modifier en une fraction de seconde la surface mouillée, l’angle d’attaque de la carène dans les vagues et l’équilibre général du bateau. Votre position n’est pas un détail, c’est le réglage numéro un, celui qui conditionne l’efficacité de tous les autres.

Cet article va vous apprendre à ne plus être un simple passager sur votre propre bateau, mais à devenir un pilote actif de sa glisse. Nous allons explorer comment chaque mouvement de votre corps, de l’inclinaison du buste au déplacement de quelques centimètres, se traduit directement en vitesse. Vous allez transformer votre perception et faire de l’équipage le curseur de performance le plus puissant à bord.

Piquer du nez ou s’asseoir sur le cul : le secret de l’assiette longitudinale pour une glisse parfaite

L’assiette longitudinale, c’est l’équilibre avant-arrière de votre bateau. C’est le premier dialogue que votre coque engage avec l’eau. Une erreur commune est de laisser le poids de l’équipage trop en avant par petit temps, faisant « piquer du nez » le bateau. L’étrave laboure l’eau, créant des remous et un frein considérable. À l’inverse, un poids trop reculé dans la brise fait « s’asseoir » le bateau sur son tableau arrière, augmentant la traînée. L’art consiste à utiliser le joystick corporel de l’équipage pour maintenir la coque dans ses lignes d’eau optimales.

Le principe est simple : on avance le poids dans le vent faible pour immerger l’étrave juste ce qu’il faut et réduire la surface mouillée à l’arrière. Dès que le vent monte et que le bateau accélère, l’équipage recule progressivement. L’objectif est de faire décoller l’avant de la coque pour qu’elle ne touche l’eau que sur son tiers arrière, minimisant ainsi la friction. C’est une sensation de légèreté immédiate à la barre.

Vue de profil d'un voilier avec l'étrave relevée montrant l'assiette longitudinale optimale

Ce réglage constant est la base de la performance. Lors de tests, même des voiliers de croisière lourds comme l’ICE 64 Explorer démontrent une capacité à maintenir une assiette parfaite et une vitesse élevée, même dans une houle formée. Cela prouve que l’équilibre est un facteur clé de performance, quelle que soit la taille du bateau. La sensation à la barre devient plus douce, le sillage plus propre, et la vitesse augmente sans toucher à un seul bout.

Le rappel n’est pas une punition : comment en faire un accélérateur dynamique

Pour beaucoup, le rappel se résume à sortir les fesses au maximum et à serrer les dents. C’est voir le corps comme un poids mort, une punition pour contrer la gîte. La vision du régatier est radicalement différente : le rappel est un accélérateur, un moyen de stocker et de libérer de l’énergie. Il ne s’agit pas d’être statique, mais d’exécuter un « rappel-pompe » synchronisé avec les surventes. C’est une technique qui demande de l’engagement physique et une grande sensibilité.

La technique consiste à se laisser légèrement rentrer dans le bateau pendant une molle (baisse de vent), pliant les genoux tout en restant gainé. Vous accumulez ainsi de l’énergie potentielle. Au moment précis où la rafale frappe la voile, vous « choquez » votre corps vers l’extérieur dans un mouvement explosif. Ce transfert de masse brutal vers l’extérieur contre instantanément le surcroît de puissance, empêche le bateau de gîter et transforme toute l’énergie de la rafale en accélération pure vers l’avant, et non en gîte qui fait dériver.

Le but n’est pas de supprimer la gîte, mais de la contrôler. La plupart des monocoques modernes sont conçus pour naviguer avec un angle d’inclinaison spécifique. Une étude sur le réglage de la grand-voile montre que l’angle de gîte idéal se situe généralement entre 15 à 22°. En dessous, le bateau manque de puissance ; au-dessus, il devient ardent et dérape. Le rappel dynamique est l’outil qui vous permet de rester dans cette fenêtre de performance optimale en permanence.

La contre-gîte : l’art de pencher son bateau du mauvais côté pour aller plus vite

Cela semble totalement contre-intuitif, et pourtant, dans le petit temps, la contre-gîte est une arme redoutable. Quand le vent est si faible qu’il peine à donner une forme à vos voiles, les laisser retomber mollement est le plus sûr moyen de s’arrêter. La contre-gîte consiste à déplacer délibérément le poids de l’équipage sous le vent (du « mauvais » côté) pour faire gîter légèrement le bateau dans cette direction. Le but ? Laisser la gravité faire le travail que le vent ne peut pas faire.

En inclinant la coque de quelques degrés sous le vent, la grand-voile et le foc prennent une forme creuse naturelle grâce à leur propre poids. Ce léger creux est suffisant pour que le peu de flux d’air qui s’écoule puisse s’y accrocher, créant une portance minimale mais essentielle. C’est particulièrement efficace sur les allures portantes, où le vent apparent est déjà faible. Le bateau semble alors glisser sur une fine partie de sa coque, la surface mouillée active étant réduite au minimum.

Il faut cependant savoir quand l’utiliser et quand l’arrêter. La contre-gîte est une technique de finesse pour les vents très faibles, typiquement en dessous de 5 nœuds. Voici quelques repères pour la maîtriser :

  • Signal d’entrée : Le vent est faible et les voiles peinent à tenir leur forme. Vous sentez le bateau « collé » à l’eau.
  • Action : L’équipage se déplace doucement sous le vent pour créer un angle de 5 à 10 degrés.
  • Signal de sortie : Le gouvernail devient « mou » ou vous sentez le bateau « tomber » sous le vent. Surtout, dès que le moindre clapot freine le flotteur immergé, il faut immédiatement revenir à plat.

Cette technique permet de maintenir une pression dans les voiles et de conserver un filet de vitesse là où d’autres sont à l’arrêt, attendant la prochaine risée.

La danse avec les vagues : comment utiliser l’assiette pour ne pas ralentir dans le clapot

Naviguer dans une mer formée n’est pas une lutte, c’est une danse. Chaque vague est une colline à gravir puis à dévaler. Un équipage statique subit cet environnement : le bateau tape dans le creux, l’étrave plante dans la vague suivante, et chaque choc est une perte de vitesse et d’énergie. Un équipage dynamique, lui, utilise son poids pour accompagner le mouvement, transformant les vagues d’obstacles en opportunités. C’est une danse kinesthésique où le corps anticipe et fluidifie la trajectoire de la coque.

Voilier naviguant dans les vagues avec équipage ajustant l'assiette

Le secret est d’adapter l’assiette longitudinale en permanence. En montant sur la vague, l’équipage se déplace légèrement vers l’avant pour éviter que l’étrave ne se cabre trop et ne décolle de l’eau. Juste avant d’atteindre la crête, le mouvement s’inverse : l’équipage se jette vers l’arrière pour alléger l’étrave au moment de la descente. Cela lui permet de ne pas « planter » dans le creux et de partir en surf sur le dos de la vague. C’est un pompage incessant, un dialogue permanent entre le corps et la mer.

La stratégie d’assiette doit être adaptée en fonction de l’état de la mer. Les principes de répartition de poids, bien qu’illustrés ici avec des exemples tirés d’un guide sur les bateaux à moteur, sont universels et s’appliquent parfaitement à la voile.

Stratégies d’assiette selon l’état de mer
État de mer Position équipage Mouvement dynamique Objectif
Clapot court (0.5-1m) Poids reculé et centré Assiette statique Éviter de ‘planter’ l’étrave
Houle moyenne (1-2m) Poids mobile avant-arrière Pompage modéré Accompagner le passage
Houle longue (2m+) Poids très mobile Pompage actif en ‘S’ Surfer les vagues

Le matossage : la musculation cachée de la course au large

Le matossage est l’application du principe de répartition des poids, non plus seulement avec le corps des équipiers, mais avec tout le matériel mobile à bord. Sacs de voiles, caisses à outils, chaîne de l’ancre, packs d’eau… tout devient un outil de réglage. Si le déplacement du corps est le réglage fin, le matossage est le réglage grossier, la musculation de l’assiette. C’est une pratique essentielle en course au large, mais ses principes sont parfaitement applicables en croisière rapide ou en régate de club pour gagner ce précieux dixième de nœud.

Comme le souligne un expert technique, la répartition des poids est le levier numéro un de l’assiette.

Pour maîtriser l’assiette du bateau, le premier levier est la répartition des poids. On a parfois tendance à l’oublier sur les bateaux à moteur plus grand, mais il suffit d’en faire l’expérience sur une annexe pour s’en convaincre. En s’avançant, au moment crucial du déjaugeage, le bateau peut revenir à plat et accélérer.

– Expert technique Bateaux.com, Guide du réglage d’assiette

L’idée est de concentrer le poids là où il sera le plus bénéfique. Au près, on « matosse » tout le matériel lourd au vent et le plus au centre possible pour augmenter le couple de rappel et réduire le tangage. Au portant, on déplace tout vers l’arrière pour soulever l’étrave et favoriser le départ au planning. C’est un effort physique, mais le gain est souvent surprenant.

Votre plan d’action pour un matossage efficace

  1. Inventaire des poids : Avant de partir, identifiez et pesez (approximativement) tous les objets lourds et déplaçables à bord : mouillage, glacière, réserves d’eau et de nourriture, sacs personnels.
  2. Définition des zones : Repérez les zones de stockage optimales pour chaque allure : au vent et centrée pour le près, à l’arrière et centrée pour le portant.
  3. Simulation à quai : Entraînez-vous à déplacer un ou deux objets lourds (ex: le mouillage) pour évaluer l’effort et le temps nécessaires. L’efficacité en mer dépend de la rapidité d’exécution.
  4. Test en navigation : Lors d’une sortie par vent médium, naviguez sur un long bord, puis déplacez 50kg de matériel et observez l’impact sur la vitesse GPS, l’angle de gîte et les sensations à la barre.
  5. Calcul de rentabilité : Appliquez la règle du ratio : si le gain de vitesse constaté est supérieur à 0.1-0.2 nœuds, l’effort est rentable, surtout sur des navigations de plusieurs heures.

L’assiette d’abord : le réglage oublié qui peut doubler votre vitesse au portant

Au portant, le Saint Graal est le planning. C’est ce moment magique où le bateau cesse de naviguer « dans » l’eau et commence à glisser « sur » l’eau, dépassant sa vitesse de carène théorique. Si le vent et les voiles fournissent la puissance brute, c’est bien l’assiette qui donne le ticket d’entrée. Sans une gestion active du poids de l’équipage, le bateau restera prisonnier de sa vague d’étrave, aussi fort que le vent puisse souffler. C’est le réglage oublié qui fait toute la différence.

Le déclic se produit grâce à un mouvement coordonné et explosif de tout l’équipage. Juste avant l’arrivée d’une survente ou en haut d’une vague, tout le monde se jette violemment vers l’arrière. Ce transfert de masse brutal cabre instantanément le bateau, soulageant l’étrave qui agit comme un frein. Le bateau abat légèrement pour prendre de la puissance, et cette combinaison d’actions permet de franchir le « mur » de la vitesse de coque. Une fois au planning, le poids de l’équipage reste à l’arrière pour maintenir cette glisse.

L’impact sur la vitesse est spectaculaire. Un bateau qui navigue à 6 nœuds en mode archimédien peut facilement bondir à 10, 12 nœuds ou plus une fois au planning. En optimisant ce départ au planning, une assiette optimale peut permettre de doubler sa vitesse. C’est une transformation radicale de la navigation, qui passe d’un déplacement lent à un vol grisant à la surface de l’eau. Pour y parvenir, il faut cesser de penser aux réglages de manière isolée et comprendre que l’assiette est le prérequis de la haute vitesse au portant.

Gîter n’est pas gagner : pourquoi un excès de gîte vous fait dériver et perdre au près

L’image d’un voilier gîtant à la limite, l’eau balayant le pont, est spectaculaire. Mais en termes de performance au près, c’est souvent un désastre. Une gîte excessive est l’ennemi de la vitesse et du cap. Lorsque le bateau s’incline trop, plusieurs phénomènes négatifs se combinent : la forme de la carène immergée n’est plus symétrique, ce qui le fait « lofer » naturellement et rend la barre dure. Le gouvernail, utilisé pour contrer cette tendance, agit comme un frein. Surtout, la quille ou la dérive, censée empêcher le bateau de glisser latéralement, perd une grande partie de son efficacité.

En effet, le plan antidérive est conçu pour travailler verticalement. Plus le bateau gîte, plus ce plan se retrouve à l’horizontale, perdant sa capacité à s’opposer à la dérive. Des études sur l’hydrodynamisme montrent qu’une gîte excessive réduit l’efficacité de la quille de près de 30% au-delà de 25 degrés. Concrètement, au lieu d’avancer, vous dérapez sur le côté. Le but n’est donc pas de gîter le plus possible, mais de trouver et de maintenir l’angle de gîte optimal pour votre bateau.

Cet « angle magique » se trouve généralement entre 15 et 22 degrés. Le trouver demande une méthode et de l’entraînement :

  1. Installer un repère : Utilisez un inclinomètre ou une application sur votre smartphone pour mesurer l’angle de gîte précisément.
  2. Naviguer au près : Choisissez une journée avec un vent stable (10-15 nœuds) pour vos tests.
  3. Tester différents angles : En jouant sur le rappel et la tension de l’écoute de grand-voile, maintenez des angles de 15, 18, 20, 22 et 25 degrés pendant plusieurs minutes chacun.
  4. Noter les performances : Pour chaque angle, relevez la vitesse GPS moyenne et le cap suivi.
  5. Analyser et s’entraîner : Identifiez l’angle qui offre le meilleur compromis vitesse/cap (le meilleur VMG). C’est votre cible. Entraînez-vous ensuite à le maintenir par le seul déplacement de votre corps.

À retenir

  • Le corps est le premier outil : Avant de toucher aux écoutes, pensez à la position de l’équipage. C’est le réglage le plus rapide et le plus efficace.
  • La gîte est une cible, pas une fatalité : Naviguer à l’angle de gîte optimal (souvent 15-22°) est plus important que de chercher à être à plat ou de gîter à l’extrême.
  • L’assiette est contextuelle : La position idéale change constamment avec le vent, la mer et l’allure. La performance vient de l’adaptation permanente.

La vitesse de votre bateau est un trésor caché : le guide pour la trouver

Vous avez maintenant compris que la vitesse ne se trouve pas uniquement dans un sac de voiles neuves ou un winch plus puissant. Elle est là, cachée dans la compréhension intime de votre bateau, dans la capacité de votre équipage à sentir et à réagir. Le poids de vos corps est le pinceau qui dessine la trace de votre coque sur l’eau. Chaque section a exploré une facette de cet art : l’équilibre avant-arrière, le rappel dynamique, la danse avec les vagues. Il est temps de synthétiser ces connaissances et de les rendre vôtres.

Le secret ultime n’est pas d’appliquer aveuglément des règles, mais de développer une sensibilité kinesthésique. C’est sentir la coque qui s’allège quand on recule au bon moment, c’est sentir la barre qui s’adoucit quand on trouve l’angle de gîte parfait. Pour y parvenir, il n’y a pas de secret : il faut naviguer, tester, et surtout, noter ses observations. La performance naît de l’expérience systématisée.

Pour transformer ces sensations en un savoir actionnable, la création d’un « Carnet de Bord de l’Assiette » est un exercice extrêmement puissant. Notez méthodiquement vos découvertes pour chaque condition, et vous construirez peu à peu le mode d’emploi de performance unique à votre bateau :

  • Conditions : Notez la force du vent, l’allure et l’état de la mer.
  • Réglage : Décrivez la position de l’équipage qui a semblé la plus efficace.
  • Résultat : Relevez la vitesse obtenue et les sensations à la barre (douce, dure, neutre).
  • Notes : Ajoutez des repères personnels (« quand la vague passe le deuxième hublot, on recule »).

Ce carnet deviendra votre trésor, la carte qui vous mènera à la vitesse cachée de votre voilier.

Commencez dès aujourd’hui. Lors de votre prochaine sortie, ne vous asseyez plus passivement. Devenez le joystick, sentez la glisse, et libérez la vitesse de votre bateau.

Rédigé par Léo Marchand, Léo Marchand est un jeune skipper professionnel du circuit Figaro, reconnu pour son approche scientifique de la performance et sa maîtrise des techniques de navigation de pointe. Il a fait ses armes en dériveur olympique avant de passer à la course au large.